Nous n’écoutons plus la musique comme autrefois, ni même comme hier et qui sait ce que demain nous réservera… Par Emmanuel Mounier, Président fondateur du groupe Unique Heritage Media.
Pas un art ou un savoir ne déroge à cette histoire. Pas un ?… Si, un bastion en forme de bibliothèque se voit contraint de demeurer à l’abri du temps et de toute évolution. Qu’un livre s’aventure à être dessiné, écouté ou digitalisé et le voilà devenu souillon et plus princier. Mais de quoi se plaint-on concrètement ? De l’évolution des supports de lecture, et de nos pratiques. Pourtant, faire du support le seul coupable serait aussi simpliste que funeste. Quantité de pistes sont à explorer pour donner à la lecture un nouveau visage. S’attaquer aux vecteurs du savoir, plus qu’à son attractivité intrinsèque est peut-être l’erreur originelle du diagnostic. Craindre l’innovation technologique ne permet jamais de l’encadrer, et encore moins de la rendre bénéfique. Qui sait si ceux qui apprennent à lire en ce moment ne seront pas plus fins lettrés que nous ?
Les épisodes de confinement pas si lointains avaient fait miroiter un monde d’après plus sensible au réel – après une surcharge de virtuel. Miroir aux alouettes hélas, tant les écrans grignotent du terrain, particulièrement dans la vie de nos enfants. Le sport, la lecture, la sociabilisation avec autrui en ont fait les frais. Incidemment et lourdement,le sommeil, à un moment où l’ organisme en croissance ne peut s’en priver sans risquer une tête peu pleine, et des malfaçons. Preuve en est que la consommation d’écrans chez les enfants a cru de 53%, atteignant 4 heures par jour chez les 7-12 ans1. S’y résoudre, voilà tout ?
Discours du chef de l’État en tête, proposition de loi visant à prévenir l’exposition excessive des enfants aux écrans de l’Assemblée nationale et voilà enfin la lecture chez les jeunes propulsée « Grande cause nationale ». C’était il y a près de deux ans, à l’été 2022. Et cette unité sans faille pour s’accorder sur un défi, se fissure et finit en foire d’empoignes. Les débats, nom courtois des guerres de chapelle entre « anciens » et « modernes », font retentir le tocsin en permanence. On ne peut rester les bras croisés, il faut agir ?
Mettons de côté les imprécations des prédicateurs du salut ou de l’apocalypse cognitive. Concentrons-nous sur ceci : les études montrent que le temps d’écran remplace le temps de lecture et d’activités chez les plus jeunes. Certes, la plupart des chercheurs considèrent que d’autres facteurs socio-culturels et socio-économiques doivent être intégrés pour comprendre la prééminence des écrans et surtout leurs impacts sur le développement intellectuel. Mais, s’il fallait soigner le malade et non la maladie ? Se tourner vers l’enfant et non vers l’écran bouc-émissaire ? Traiter le « réflexe écran » par des propositions de contenus attractifs pour les enfants.
L’incitation plutôt que le blâme ? Forcer l’envie de lire conduira au strict opposé
Une débauche de temps et de mots sont mis en en batterie pour faire feu sur des coupables d’office. Haro sur des supports numériques, condamnation de supports littéraires pas assez savants. Conséquence de la vindicte, une masse de connaissance est désormais classée selon le support de média – en oubliant son corollaire douteux, une hiérarchisation des savoirs et des cultures qui tend à marginaliser une part importante de la population, et à creuser toujours plus en profondeur les inégalités sociales dans l’accès à la culture, comme le rappelait récemment l’Observatoire des inégalités. Ces débats byzantins ont une autre conséquence, la déroute de beaucoup d’acteurs de l’éducation et de parents (un parent sur deux ne se sent pas ou pas suffisamment accompagné dans l’éducation numérique de son enfant). Là-encore l’erreur de focale se paye comptant. Avant de renverser la table ou d’en raser la surface de nos pratiques, voyons déjà ce qui fonctionne ou gagnerait à agir en complément de telle ou telle solution existante ?
Avoir voix au chapitre n’attend pas le nombre des années
La richesse et la variété de médias disponibles (livre, audio ou écrans) – qui présentent chacun leurs vertus – sont autant de richesse que d’opportunités. À condition de dissocier les contenus diffusés d’une part, des contenants proposés d’autre part, bref, le savoir et des moyens d’accès au savoir. À titre d’exemple, 75% des enfants estiment que les supports audiovisuels favorisent leur envie de lire, et les études du CNL montrent une hausse sensible de la lecture numérique et de l’écoute de livres et podcasts entre 2016/2018 et 2022, corroborant le développement de nouvelles pratiques de lecture chez les jeunes.
Les contenus transmédias restent encore l’exception chez les jeunes, tout comme le support audio (radio, podcast, audio livre), alors qu’il présente des avantages indéniables : stimuler l’imagination, dépasser les clivages. À titre d’exemple, dans une étude récente conduite par Unique Heritage Media, les supports audio se révélaient plus démocratiques et inclusifs que les supports papiers : comptant le même nombre d’utilisateurs indépendamment de leurs origines sociales, et séduisant aussi bien les filles que les garçons, alors que le support papier souffre encore d’un biais de genre dans les préférences des enfants.
Nos pratiques de lecture ont évolué massivement dans les temps récents ? Tout juste. Quand paraît Orgueils et préjugés de Jane Austen en 1813, un Français sur trois seulement sait lire. Le titre d’Austen résonne comme une ironie piquante. Espérons que cette piqûre ne finisse pas en coup d’épée dans l’eau.